Le ministre de l'Intérieur Claude Guéant a présenté mardi 17 janvier le bilan 2011 de la délinquance. C'est la période de l'année qui veut ça. Bilan global : baisse de la délinquance générale mais explosion des cambriolages.
Ça, ça m'intéresse. Je me pose toujours la question de savoir si oui ou non elle augmente, cette fichue délinquance. Observons les chiffres.
1.
La diminution de la délinquance générale est de 0,34 %, ce qui a valu, ce vendredi, à
Vitré en Ille-et-Vilaine, un Claude Guéant s'exprimant en ces termes : "En 2011, à nouveau, nous avons eu un recul de la délinquance". C'est le "à nouveau" le plus savoureux. Oui, vous me direz : on a l'habitude. Certes, mais je note.
Claude Guéant nous certifie l'exactitude des chiffres fournis,
sur RTL : "La façon dont je présente les choses aujourd'hui sera sans doute la dernière parce qu'on peut aller vers un système plus moderne, mais il n'empêche que ce que je présente est rigoureusement exact".
Le chiffre rigoureusement exact qu'il présente est le chiffre unique de la délinquance, qui englobe aussi bien les vols à l’étalage que les meurtres d’enfants. Même l' Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, pourtant dirigé par Alain Bauer, un ami du chef de l'Etat, récuse ce procédé, qui n'aura probablement plus cours l'année prochaine.
OK, donc, si je comprends bien, ce chiffre en tant que tel ne veut rien dire, comme
nous l'explique Sébastien Roché sur Rue 89 :
un pays qui compterait 100 vols de portables serait, à prendre les chiffres pour ce qu'ils paraissent, deux fois plus dangereux qu'un pays où on compterait 50 homicides.
2.
L'explosion des cambriolages, mais d'où sort-elle ? En présentant son bilan, Guéant a fait quelque chose de fort habile, dans la droite ligne de sa politique relative à l'immigration : toujours sur RTL, il a pointé la hausse de 16% des cambriolages dans les résidences principales et secondaires. Un chiffre du à «un phénomène nouveau qu'il est très difficile de combattre qui est celui des raids menés par des personnes originaires d'Europe centrale ou orientale ».
Nous y sommes. On sort de la thématique de la sécurité pure, on entre dans une autre thématique.
Pour étudier le lien entre délinquance et immigration, nous explique
l'excellent article de Tefy Andriamanana, on a des chiffres, qui viennent soit d'une étude de 2005 de l’ONDRP, donc guère résente, mais néanmoins valide (une nouvelle étude doit être présentée en février), à défaut de chiffres plus résents, soit du ministère de la Justice, relatifs aux condamnations et pas seulement aux seules interpellations.
L’étude de l’ONDRP indique que 13,7% des mis en cause pour atteintes aux biens et 14,2% pour atteintes à la personne (hors vols avec violence) sont des étrangers. Et qu’entre 1996 et 2005, « le nombre de Français et d’étrangers mis en cause a fortement varié » entre hausse et baisse. Et entre 2003 et 2005 « le nombre d’étrangers mis en cause baisse (- 9 %) alors que celui des Français augmente (+ 5,3 %) ».
Quant aux chiffres du ministère de la Justice, ils donnent des informations très proches : en 2010, 12,64% des condamnés pour crimes (punissables de plus de 10 ans de prison) sont des étrangers ; 12,58% des condamnés pour les délits sont des étrangers. Mais là encore, la variation année par année reste faible : entre 2007 et 2010, la part de condamnés étrangers a varié entre 12,23% et 12,64% pour les crimes et entre 11,8% et 12,58% pour les délits.
Il y a en effet une surreprésentation des étrangers dans la délinquance, mais dans des proportions moindres que Guéant ne le prétend.
L’objectif du ministre est de donner une pseudo-validation statistique à la propagande UMP, et jouer sur le sentiment d'insécurité, c'est-à-dire l'insécurité ressentie par les Français. Dans une perspective où la "délinquance globale" diminue, le fait que la délinquance étrangère augmente de façon si notoire appelle une conclusion épidermique et simple, qui plaira certainement beaucoup à Marine Le Pen.
3. Derrière la baisse de 0,34% de la délinquance générale,
on note que les violences contre les personnes ont augmenté de 8% depuis 2007. De même, les violences physiques non crapuleuses (pour un motif autre que le vol) ont augmenté de 0,2% entre 2010 et 2011 et de 10,1% depuis 2007. Ce qui permet, à rebours de mes précédentes observations, à
la gauche de fustiger, dénoncer, pointer du doigt, (rayer la mention inutile) l'échec de Nicolas Sarkozy.
Mais là encore, il ne faut pas de prendre des vessies pour des lanternes, comme le rappelle
le blog Désintox. En effet, depuis quinze ans, les atteintes aux personnes enregistrées progressent. Pourquoi ? J'ai trouvé l'explication
là.
D'abord, parce que l' élargissement du nombre des «circonstances aggravantes» ont amené des agressions jusque là classées comme des contraventions à être enregistrées comme des délits. Donc, des faits qui n’y figuraient pas auparavant sont inclus dans les statistiques de la délinquance. Exemple, depuis 1994, une agression, quelle que soit la durée de l’incapacité totale de travail de la victime, est un délit si elle est le fait du concubin ou du conjoint de la victime. Ce type de modification est une des raisons de l’augmentation du nombre de faits constatés.
En suite, parce que le nombre de plaintes enregistrées dépend aussi du nombre de plaintes déposées. Or, sur ce point, les comportements se modifient : la police, mieux formée sur ce sujet, collecte plus systématiquement ce type de plaintes, que les victimes, de leur côté, sont incitées à déposer (elles sont encore moins de 25% à le faire en cas d’agression, et moins de 10% quand il s’agit de violence au sein du ménage). Exemple de la Seine-Saint-Denis : entre 2004 et 2007 une hausse de 87% des violences par conjoint a été enregistrée. Or, les conjoints de ce département ne sont pas brusquement devenus plus violents dans cette période : en fait, le département et les associations avaient mené une politique volontariste contre la violence conjugale, aboutissant à de nombreux dépots de plainte.
Du coup, paradoxalement, «l’augmentation des faits constatés peut être une bonne nouvelle, parce qu’elle peut signifier que de plus en plus de victimes se font connaître. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a de plus en plus de victimes».
De leur côté, les enquêtes de victimation, au cours desquelles on interroge des échantillons de population sur les délits dont ils ont été l’objet, ne montrent pas d'augmentation des violences. Or, ces chiffres-là, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, ne sont jamais citées par les politiques français, plus friands de statistiques de l’activité policière.
Bref, il est donc difficile de faire une lecture du bilan en terme d'efficacité sarkozyste. La méthode de Guéant, qui consiste, dans l'immédiat, à placer sous les projecteurs les "malfaiteurs venus de l'étranger, notamment d'Europe centrale et orientale", après s'être félicité de la baisse globale de la délinquance, est purement opportuniste et ne signifie pas grand chose. Les hurlements de la gauche, qui démoncent l'échec de Sarkozy, ne signifient pas grand chose non plus.
Si je me laissais aller, je dirais qu'ils sont tous en train de nous mener en bateau.